La prison de Côn Sơn est composée d’une rangée de plusieurs dizaines de cellules affreuses, sales et étroites. Devant chaque cellule, il y a les compartiments propres et ventilés des geôliers français. Les cellules demeurent à l’air libre. Ce qui ressemble à un avantage est en fait un malheur, les détenus passent l’entièreté de la journée à rôtir sous le soleil tropical de l’île. C’est une construction intentionnelle, les cellules n’ont pas de toiture afin de torturer les prisonniers. Malgré cela, les captifs des geôles extérieures se réjouissent de ne pas être dans les chuồng cọp, des cages de barbelés pointus faites pour tigres, celles-ci ne font pas plus d’un mètre de haut. Les prisonniers y sont entassés, assis le dos courbé pour ne plus jamais sortir, ceux qui sont enfermés là sont battus régulièrement et privés d’eau.
La prison est isolée du monde à deux cents kilomètres de la côte vietnamienne. Les Français y enferment les rebelles jugés trop dangereux pour le gouvernement colonial. Je réside dans l’une des cellules externes, cela fait peut-être quatre mois que je suis enfermé. Je me sens malgré tout privilégié de ne pas être dans les cages à tigres. Une fenêtre à barreaux troue la paroi arrière de chaque cellule. Mes journées sont gaspillées debout devant l’ouverture à regarder l’océan, unique lueur d’espoir dans cette oubliette.
Je n’ai plus la notion du temps. Seul, le calendrier que je vois à travers les persiennes du compartiment des gardiens me donne une idée du jour. On m’a exilé car j’ai attaqué un soldat français dans un marché avec une barre de fer. On enferme ici également les opposants politiques ; dans la cellule adjacente à la mienne est Tôn Đức Thắng, second président du nord Vietnam. Thắng a été déporté en même temps que moi à Côn Đảo. Je bavarde avec lui durant les nuits où la plage est invisible. À l’aube, la vue de l’océan offre une connexion avec les esprits, c’est pourquoi j’y suis si attaché. Les vagues me communiquent l’espoir qu’un jour, je serai sauvé par une force divine. Cette pensée me donne du courage, grâce à elle, mes jambes me supportent encore.
Aujourd’hui le calendrier des Français montre le 11 Juillet 1929. Pendant que je me meurs lentement à observer l’horizon à travers les barreaux de fer, soudain, l’intersection nette de l’océan et des cieux se met en mouvement. L’horizon s’élève doucement et un énorme barrage d’eau semble s’approcher. Rapidement, le phénomène augmente considérablement de taille. Une gigantesque masse d’eau s’approche de la côte. Je la vois déferler sur la plage, se ruant vers la prison à toute vitesse. Serait-ce possible ? L’esprit de l’eau, la déesse Thủy vient à mon secours. En un instant, sa vague inonde ma cellule et m’emporte par delà le toit découvert.
Perdu dans le courant, arbres et bâtis me broient sur mon chemin vers la liberté. Je tombe inconscient momentanément pour plus tard reprendre mes esprits sur un rivage de l’archipel. L’île n’est pas déserte, en marchant un peu, je pourrai apercevoir un village et m’évader.
Anthony DALLOT